La sélection en apiculture
Rappels de génétique
Les caractéristiques observables d’un individu (qu’elles soient morphologiques, physiques, physiologiques ou comportementales) constituent son phénotype. Le phénotype d’un individu est le produit de l’expression du génome de cet individu (ensemble de l’ADN contenu dans ses cellules) dans un environnement donné. Les molécules d’ADN forment les chromosomes (16 paires chez l’abeille femelle) et sont structurées en plusieurs dizaines de milliers de gènes (ou séquences d’ADN), chacun associé à un trait phénotypique. Pour un gène donné il existe plusieurs versions du gène (c’est à dire plusieurs séquences d’ADN). Chaque version constitue un allèle et peut avoir des effets différents sur le phénotype de l’individu.
Les organismes diploïdes présentent dans leurs cellules deux versions de chaque chromosome, l’une venant de leur mère et l’autre de leur père. Pour un gène donné, si l’allèle hérité de la mère et celui hérité du père sont des versions identiques on dit que le gène est à l’état homozygote. Si ce sont des versions différentes, il est à l’état hétérozygote. Dans le cas d’un gène à l’état hétérozygote, le trait phénotypique associé peut être déterminé par l’expression conjointe des deux allèles (codominance) ou alors par l’expression d’un seul des deux allèles. On dit alors que l’allèle exprimé est dominant et l’autre récessif.
Dans le cas des abeilles (et de l’ensemble du groupe des hyménoptères), les femelles sont diploïdes, issues d’un œuf fécondé, alors que les mâles sont haploïdes (ne présentant qu’une seule version de chaque chromosome), issus d’un œuf non fécondé. En théorie (et le plus souvent en pratique aussi) la reine est la seule femelle qui se reproduit. Il en résulte que la colonie dans son ensemble est une entité plus pertinente que l’individu isolé du point de vue évolutif. La colonie est alors assimilée à un super-organisme et les caractéristiques des ouvrières sont interprétées comme le phénotype étendu de la reine et des mâles dont elles sont issus.
La sélection en apiculture
La sélection artificielle consiste à favoriser la reproduction des colonies qui sont les plus performantes vis-à-vis de certains traits de caractères héritables, de manière à augmenter (ou stabiliser) leur niveau d’expression dans la lignée au fil des générations. L’efficacité du processus implique une identification efficace des reines (dossards numérotés), la maîtrise des fécondations (identification des lignées de mâles qui vont féconder les reines) et une évaluation précise des performances des colonies pour les traits de caractères sélectionnés (étape de testage). Si le sélectionneur veut augmenter le niveau d’expression d’un trait de caractère, on parle de sélection directionnelle. S’il veut stabiliser le niveau d’expression d’un trait de caractère de génération en génération, on parle de sélection stabilisante.
Sélection directionnelle
Exemple : Un apiculteur sélectionneur estime que ses colonies sont, en moyenne, trop agressives. Il peut entreprendre d’augmenter la douceur de son cheptel en croisant entre elles les colonies les plus douces. Il va ainsi sélectionner les facteurs génétiques associés à la douceur, initialement dilués dans l’ensemble des colonies de son cheptel de départ. De génération en génération, ces facteurs génétiques vont se combiner de manière optimale et se concentrer dans la lignée.
Le gain de performance d’une génération à l’autre, appelé ‘progrès génétique’ (∆g) dépend de la diversité génétique disponible dans la population sous sélection (G), de la qualité du testage (QT), et de la sévérité du seuil de sélection (1/Seuil_S).
Progrès génétique (∆g)
Dans le cas de l’exemple de sélection de la douceur (ou contre-sélection de l’agressivité), si la population initiale présente une agressivité moyenne de 0.1 (piqûre/visite), et que le sélectionneur décide de ne reproduire que les ruches ayant une agressivité inférieure à 0.01 on s’attend à ce que l’agressivité moyenne à la génération suivante se déplace en direction 0.01. Si cette nouvelle moyenne est de 0.06 le progrès génétique est alors de 0.1 – 0.06 = 0.04.
Diversité génétique de la population sous sélection (G)
L’évolution est rendue possible par le changement des fréquences et des combinaisons des différents allèles au fil des générations. Plus la population présente de diversité génétique, plus le nombre d’allèles et de combinaisons possibles est élevé et plus les pressions de sélection vont pouvoir faire évoluer le niveau d’expression des différents traits de caractère. A l’inverse une population isolée composée d’individus génétiquement identiques ne peut pas évoluer (sauf à compter sur les mutations spontanées, mais celles-ci apparaissent à des fréquences négligeables à l’échelle de temps du sélectionneur).
Qualité du testage (QT)
Le testage est l’étape d’évaluation des colonies vis-à-vis des traits de caractères sous sélection. Il a pour objectif de détecter les colonies présentant les bases génétiques associées aux meilleures performances. Les mesures de performances doivent donc être standardisées et effectuées dans des conditions environnementales contrôlées. Moins la variation environnementale est contrôlée, plus il y a de chances que certaines colonies considérées performantes le soient en raison de facteurs environnementaux non-héritables plutôt qu’en raison de leur bagage génétique. A l’inverse d’autres colonies présentant les facteurs génétiques recherchés peuvent apparaitre sous-performantes parce qu’elles sont soumises à des conditions environnementales moins favorables que les autres, et ainsi ne pas être sélectionnées. De telles erreurs d’évaluation réduisent le progrès génétique potentiel d’une génération à l’autre.
Pour plus d’efficacité le testage peut être étendu à la descendance des colonies (on parle de testage généalogique), de manière à être sûr que les performances sélectionnées se transmettent aux colonies filles, confirmant leur héritabilité et donc la nature génétique de leur déterminisme.
Certains traits de caractère recherchés s’expriment de manière importante uniquement dans des contextes particuliers : on parle de ‘conditions révélatrices’. Par exemple, la résistance à une maladie ne se repère qu’au contact de la maladie. La mesure du niveau de sensibilité d’une colonie au varroa est plus précise lorsque la charge en varroas est forte ; La détection fine des colonies les plus robustes demande des conditions environnementales hostiles, etc. Un testage efficace doit donc s’effectuer dans des conditions révélatrices des traits de caractère sous sélection.
Sévérité de la sélection (1/Seuil_S)
Si un sélectionneur disposant d’une population de 100 ruches sélectionne ses 10 ruches les plus douces pour produire la génération suivante, il applique un seuil de sélection de 10% (c’est-à-dire une sévérité de sélection de 1/0.1 = 10). S’il sélectionne seulement ses 5 ruches les plus douces, il applique un seuil de 5% (c’est-à-dire une sévérité de sélection de 1/0.05 = 20). Etant donné que la performance moyenne des 5 meilleures ruches est supérieure à la performance moyenne des 10 meilleures, on s’attend à ce qu’un seuil de sélection de 5% conduise à un progrès génétique plus important qu’un seuil de sélection de 10%.
Sélection stabilisante
Exemple : Une colonie ‘C’ présente des caractéristiques exceptionnelles et l’apiculteur voudrait obtenir d’autres colonies semblables et développer une lignée qui conserve les niveaux d’expression des différents traits de caractère de ‘C’ de génération en génération. Problème : les colonies filles de cette ruche ne sont généralement pas aussi bien. Ce constat peut venir du fait que les allèles responsables des caractéristiques de ‘C’ sont récessifs, et dès lors qu’ils sont recombinés avec d’autres allèles issus des mâles des colonies voisines, ils ne sont plus exprimés. Dans ce cas il est possible de procéder à des plans de sélection consanguins par le biais de croisements ‘Tante X Neveu’. Ce type de croisement augmente les chances de retrouver des descendants présentant les allèles récessifs à l’état homozygote exprimant les caractéristiques de ‘C’. Le sélectionneur doit tester les différentes colonies obtenues et ne garder à chaque génération que celles qui sont semblables à ‘C’.
Ce type de sélection ne peut être maintenu indéfiniment puisqu’il risque de conduire à des problèmes de consanguinité. Il faut alors de temps en temps procéder à des croisements non consanguins avec des colonies non apparentées, mais présentant si possible des caractéristiques proches de ‘C’.